Storytelling pour les marques, les managers, la communication. Blog guide du storytelling en France depuis 2009

Le storytelling est efficace : de nouveaux chiffres pour le prouver

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Je me suis remis en quête de nouveaux chiffres sur l’efficacité du storytelling. Et j’ai réussi à en trouver. Ce n’était pas trop difficile, il faut dire. Car le storytelling est efficace, et les chiffres ne manquent pas, malgré tous les articles que j’ai déjà pu écrire sur le sujet (sur ce blog).

Selon une étude menée par Dan et Chip Heath, des pionniers dans la communication efficace (et donc, ils sont aussi tombés sur le storytelling) seulement 5 % des personnes sont capables de se rappeler des statistiques spécifiques d'une présentation, alors que 63 % des participants peuvent se souvenir de l'histoire racontée par l’orateur.

Et ce n’est pas tout. Selon un rapport Stanford-Forbes, lorsque les personnes sont destinataires d’informations statistiques accompagnées d'une histoire ou d'un exemple illustrant le sens de la statistique dans la vie réelle, leur vie dans l’idéal, leur taux de mémorisation passe de 5-10 % à 65-70 %. Le pouvoir de la narration dans toute son efficacité : il rend l'information plus mémorable et plus attrayante.

Mais qu'est-ce qui fait une bonne histoire ? Selon un rapport de Headstream, les cibles commerciales de tous les âges aiment les histoires de marque qui sont humoristiques ou inspirantes. Par exemple, 57 % des clients âgés de plus de 55 ans et 43 % des consommateurs âgés de plus de 35 ans ont déclaré que les histoires de marque devraient être drôles. L'humour est également important pour les clients plus jeunes, 28 % des 18-24 ans donnant la priorité aux histoires drôles et 37 % des 25-34 ans déclarant que l'humour est important. Le deuxième “genre” le plus populaire choisi par les clients pour les histoires de marque est celui des “histoires inspirantes”. Environ 27 % des 18-34 ans ont déclaré qu'ils souhaitaient que les récits de marque les inspirent.

Les histoires de marque ne sont pas les seules à bénéficier d'une bonne note. Selon une étude menée à l'université de Liverpool, les ragots et les histoires personnelles représentent environ 65 % des conversations que nous avons en tant qu'êtres humains. Ce qui ne signifie pas, évidemment, que les ragots doivent être encouragés.

Le storytelling est également un outil puissant pour l’activité commerciale, car il peut augmenter les conversions de cleints de 30 %, selon un rapport de la Delhi School of Internet Marketing. Le rapport montre que la narration a la capacité de répondre aux questions cruciales que les clients peuvent se poser sur un produit, une entreprise ou un service, ce qui en fait un outil précieux.

Une autre raison de l'efficacité du storytelling est qu'il fait appel à différents formes d'apprentissage par le public. Dans n'importe quel groupe, environ 40 % des participants sont principalement des apprenants visuels qui apprennent mieux à partir de vidéos, de diagrammes ou d'illustrations. Le storytelling peut être dans le coup. Les 40 % restants sont des apprenants auditifs, qui apprennent mieux à travers les conférences et les discussions. Il y a aussi de la place pour le storytelling ici. Les 20 % restants sont des apprenants kinesthésiques, qui apprennent mieux en faisant, en expérimentant ou en ressentant. En vivant une histoire donc. La narration comporte donc bien des éléments qui conviennent à ces trois types d'apprenants. Les apprenants visuels apprécient les images mentales que la narration évoque. Les apprenants auditifs se concentrent sur les mots et la voix du conteur. Les apprenants kinesthésiques se souviennent des liens émotionnels et des sentiments suscités par l'histoire, ce qui en fait un puissant outil de communication et d'éducation.

Au final, il est très clair que la narration est un outil puissant qui peut rendre l'information plus mémorable, plus attrayante et plus efficace. Qu'il s'agisse d'une présentation, d'une histoire de marque ou d'une campagne publicitaire, un bon storytelling peut capter l'attention des gens et les inciter à agir.

On a testé ChatGPT pour Blog Storytelling

Est-ce que ChatGPT saurait contribuer à l’écriture d’un article de blog sur ce blog, par exemple, blogstorytelling.com ?

Ce serait un article apportant de la nouveauté sur cette thématique déjà bien balayée qu’est le storytelling. Avec bien entendu également une exigence de fiabilité des informations. Oui, parce qu’il faudra nécessairement de l’information : en 2023, toute l’esbroufe qui pouvait être dite sur le storytelling l’a déjà été au cours des 15-20 ans passés, avec la montée en popularité du sujet. L’objectif serait donc vraiment d’apporter quelque chose au lecteur. En soi, ce devrait toujours être le cas, et c’est ce que, en tant qu’ancien journaliste j’ai constamment essayé de faire, mais pas sûr que certains autres producteurs compulsifs de contenus sur le storytelling aient eu la même approche.

En complément de ChatGPT, on a aussi demandé à Midjourney de nous créer un visuel d’illustration. Si vous n’avez pas encore testé Midjourney (ou Dall-E, que nous aimons bien aussi) : c’est une intelligence artificielle, comme ChatGPT, mais dont la spécialité est de générer des images, illustration, photos et autres, à partir de texte que vous saisissez. Evidemment, tout comme ChatGPT, vous aurez une première proposition en quelques secondes.

Donc, pour cet article, on a demandé à Midjourney de nous générer une image de style photo représentant un jeune businessman avec des cheveux bouclés faisant du storytelling (racontant des histoires plus précisément).

Voici la proposition de Midjourney pour une image sur le storytelling :

image storytelling générée par IA

Midjourney fait 4 propositions avec de légères différences. Qu’en dire de plus ? Le challenge est rempli : la thématique est respectée. Le réalisme est là. Les mains ne comportent pas 6 ou 7 doigts comme parfois. C’est que ces intelligences artificielles sont encore des enfants, elles sont encore en apprentissage, mais elles apprennent vite.

On peut cependant regretter que ce businessman ressemble un peu à Sam Bankman-Fried. Quand est-ce que la phase d’éducation initiale de l’IA a-t-elle été menée ? Il se peut que cela ait eu lieu à une époque où SBF était encore un modèle en vogue, du moins à ce que l’on croyait (et bien malin ou mensonger celui ou celle qui dirait qu’on savait comment cela allait se terminer). Ou alors que la requête “raconter des histoires” ait été interprétée dans un sens particulier.

Mention plutôt bien, donc, pour l’image générée par une intelligence artificielle. La capacité à créer des textes générateurs d’images (des prompts) de qualité est certainement une compétence qui devrait être très recherchée à l’avenir.

Et du côté de ChatGPT, quoi de neuf pour le storytelling ?

On a demandé à ChatGPT de nous donner des preuves d’efficacité du storytelling dans le management.

Voici sa réponse :

“Il existe plusieurs études qui montrent que le storytelling est efficace dans le management. Par exemple, une étude de 2012 intitulée “The power of storytelling in leadership” a montré que les employés qui ont entendu des histoires de leadership de leurs dirigeants ont montré un plus grand engagement et une meilleure compréhension des objectifs de l'entreprise. Une autre étude de 2016, “The role of storytelling in strategic management,” a révélé que les entreprises qui utilisent des histoires pour communiquer leur vision, leur mission et leurs objectifs ont tendance à être plus performantes que celles qui ne le font pas. Enfin, une étude de 2018 intitulée “The role of storytelling in change management” a montré que les histoires peuvent aider les employés à comprendre et à accepter les changements dans l'entreprise”.

On lui a ensuite demandé des précisions sur les études qu’il a mentionnées.

Et il a répondu :

“L'étude de 2012 intitulée “The power of storytelling in leadership” a été menée par des chercheurs de l'Université de North Carolina et de l'Université de Melbourne. Elle a été publiée dans la revue “Academy of Management Learning & Education”. Les chercheurs ont examiné comment les histoires de leadership influencent les employés et ont constaté que les employés qui ont entendu des histoires de leadership de leurs dirigeants ont montré un plus grand engagement et une meilleure compréhension des objectifs de l'entreprise. Ils ont également découvert que les histoires de leadership ont aidé les employés à se sentir plus connectés à leur entreprise et à leurs collègues, ce qui a conduit à une plus grande motivation et une plus grande satisfaction au travail. Enfin, les histoires de leadership ont également aidé les employés à mieux comprendre les comportements et les valeurs des dirigeants, ce qui a conduit à une plus grande confiance en eux. Les résultats de cette étude montrent que le storytelling peut être un outil efficace pour les dirigeants pour renforcer la motivation et l'engagement des employés et améliorer la compréhension des objectifs de l'entreprise.

L'étude de 2016 intitulée “The role of storytelling in strategic management” a été menée par des chercheurs de l'Université de Technologie de Sydney en Australie, elle a été publiée dans la revue “Strategic Management Journal”. Cette étude a examiné comment les entreprises utilisent des histoires pour communiquer leur vision, leur mission et leurs objectifs et comment cela affecte leur performance. Les chercheurs ont constaté que les entreprises qui utilisent des histoires pour communiquer leur stratégie ont tendance à être plus performantes que celles qui ne le font pas. Ils ont également découvert que les histoires permettent aux employés de mieux comprendre la stratégie de l'entreprise, ce qui conduit à une plus grande motivation et une meilleure mise en œuvre de la stratégie. Enfin, les histoires ont également aidé les employés à se sentir plus connectés à l'entreprise et à ses objectifs, ce qui a conduit à une plus grande engagement et une plus grande innovation. Les résultats de cette étude montrent que le storytelling est un outil efficace pour les entreprises pour communiquer leur stratégie et améliorer leur performance en renforçant la compréhension, l'engagement et l'innovation de leurs employés.

L'étude de 2018 intitulée “The role of storytelling in change management” a été menée par des chercheurs de l'Université de St. Gallen en Suisse, elle a été publiée dans la revue “Academy of Management Journal”. Cette étude a examiné comment les histoires peuvent aider les employés à comprendre et à accepter les changements dans l'entreprise. Les chercheurs ont constaté que les employés qui ont entendu des histoires sur les changements dans l'entreprise ont montré une meilleure compréhension des raisons du changement et une plus grande acceptation du changement par rapport à ceux qui n'ont pas entendu d'histoires. Ils ont également découvert que les histoires ont aidé les employés à se sentir plus connectés aux autres employés et à l'entreprise, ce qui a conduit à une plus grande motivation et une meilleure mise en œuvre du changement. Enfin, les histoires ont également aidé les employés à mieux comprendre les comportements et les valeurs des dirigeants, ce qui a conduit à une plus grande confiance en eux. Les résultats de cette étude montrent que le storytelling peut être un outil efficace pour les entreprises pour gérer les changements en renforçant la compréhension et l'acceptation des employés.”

C’est assez détaillé, mais un peu littéraire. On lui a donc demandé s’il a des données chiffrées sur ces intéressantes études.

Déception :

ChatGPT storytelling
storytelling par ChatGPT

Quelques éléments chiffrés sont affirmés, cependant.

On lui a ensuite demandé s’il a des études récentes sur l’efficacité du storytelling, il en a, avec même quelques précisions :

“Il existe des études récentes qui ont été publiées en 2020 et 2021 sur l'efficacité du storytelling. Par exemple, une étude de 2020 intitulée “The role of storytelling in crisis communication” a montré que les entreprises qui utilisent des histoires pour communiquer avec leurs publics pendant les crises ont tendance à être mieux perçues et à récupérer plus rapidement que celles qui ne le font pas. Une autre étude de 2020 intitulée “Storytelling as a strategy for enhancing emotional intelligence in leaders” a montré que les dirigeants qui utilisent des histoires pour développer leur intelligence émotionnelle ont tendance à être plus efficaces dans leur rôle. En 2021, une étude intitulée “The impact of storytelling on employee creativity” a montré que les employés qui écoutent des histoires de l'entreprise ont tendance à être plus créatifs et innovants dans leur travail. Il y a aussi une étude intitulée “Storytelling for effective communication in virtual teams” qui a montré que le storytelling peut être un outil efficace pour renforcer la communication et la collaboration dans les équipes virtuelles. Il existe donc de nombreuses études récentes qui montrent l'efficacité du storytelling dans différents aspects de la gestion d'entreprise.

L'étude de 2020 intitulée “The role of storytelling in crisis communication” a été menée par des chercheurs de l'Université de Huddersfield au Royaume-Uni, elle a été publiée dans la revue “Corporate Communications: An International Journal”. Cette étude a examiné comment les entreprises utilisent des histoires pour communiquer avec leurs publics pendant les crises et comment cela affecte la perception de l'entreprise par les publics. Les chercheurs ont constaté que les entreprises qui utilisent des histoires pour communiquer pendant les crises ont tendance à être mieux perçues et à récupérer plus rapidement que celles qui ne le font pas. Ils ont également découvert que les histoires permettent aux entreprises de montrer comment elles ont géré les crises de manière responsable, ce qui renforce la confiance des publics dans l'entreprise. Enfin, les histoires ont également aidé les entreprises à humaniser leur communication pendant les crises, ce qui a conduit à une plus grande empathie et une meilleure compréhension des publics. Les résultats de cette étude montrent que le storytelling peut être un outil efficace pour les entreprises pour gérer les crises en renforçant la perception de l'entreprise et la confiance des publics.”

Il est assez intéressant de voir que ChatGPT a des éléments pour l’année 2021, étant donné que l’intelligence artificielle affiche clairement que son entraînement s’est arrêté en 2021.

Question plus précise sur les données tangibles de l’efficacité du storytelling dans le management :

“Il y a plusieurs études qui ont montré que le storytelling peut avoir des résultats positifs sur la communication, la motivation et la prise de décision. Voici quelques données chiffrées tirées de ces études:

  • Selon une étude menée par The Wharton School, les histoires sont plus persuasives que les faits seuls, augmentant l'intention de l'auditeur de changer de comportement par 22%.
  • Une étude menée par l'Université de California, Berkeley, a révélé que les histoires ont un impact plus important sur la mémoire à long terme que les informations présentées sous forme de liste.
  • Une étude de l'Université de Sussex a révélé que les histoires peuvent susciter une réponse émotionnelle deux fois plus forte que les faits seuls.
  • Une étude de Harvard Business Review a montré que les employés qui se sentent connectés à une histoire d'entreprise sont 3,5 fois plus susceptibles de se sentir très engagés dans leur travail.”

Cependant, quelques résultats inquiètent :

efficacité du storytelling ChatGPT

Cette étude existe-t-elle vraiment ? L’IA en a-t-elle juste qu’une connaissance très synthétique et parcellaire ?

Des recherches complémentaires hors de l’IA s’imposent. Et c’est bien le sens qu’il convient de donner à l’aide de l’intelligence artificielle, somme toute. Prendre le contenu qu’elle propose parce qu’il est de valeur, mais ne pas se contenter d’un copié-collé.

Tout cela laisse augurer de belles perspectives de collaboration homme-machine.

Storytelling et changement en entreprise

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Que le storytelling soit utilisable et utilisé dans les démarches du changement n’est ni une révélation ni une nouveauté. Il est employé dans ce cadre depuis très longtemps et avec efficacité.

Par contre, est-ce que le storytelling a pris une telle importance dans les démarches de changement dans les organisations qu’il a généré une évolution de la stratégie de changement dans ces structures, et notamment les entreprises ?

C’est la question que se sont posés Bernhard Fischer-Appelt et Rafael Dernbach, de l’université de Harvard (Etats-Unis) et de l’université de Heidelberg (Allemagne) dans un article paru dans l’European Journal of Social Science Research en 2022.

Leur conclusion sans appel est que l’utilisation de récits, pour utiliser leur propre terminologie au lieu du mot storytelling, a profondément transformé la stratégie des entreprises dans le contexte de changements organisationnels au cours des dernières années. Et ils associent cela au développement d’une stratégie narrative.

Les chercheurs se sont basés sur le cas de l’entreprise Merck, en étudiant sa transformation, d’une entreprise de production pharmaceutique à une entreprise oeuvrant dans le domaine de la science et de la technologie, menée en 2014.

Le storytelling a-t-il vraiment un potentiel au-delà de la publicité ?

That is the question. Si le storytelling est un gadget, inutile de l’envisager pour autre chose que la bagatelle publicitaire.

Que nous dit l’état de la recherche sur le sujet ? Des économistes ont étudié le rôle des récits en tant que facteurs économiques clés pour favoriser ou ralentir les développements de l’économie. Des spécialistes des sciences politiques ont pour leur part examiné leur impact dans la formation des mouvements sociaux, et notamment leur capacité à transformer des valeurs en actions. C’est donc bien que l’on considère que le storytelling n’a pas seulement un impact individuel. Il peut agir sur les organisations et les systèmes sociaux.

Pour Fischer-Appelt et Dernbach, les histoires sont des facteurs contextuels. Cela signifie qu’elles ont une fonction dans un contexte bien précis et qu’il ne peut pas y avoir, dans le changement organisationnel, d’histoire miracle que l’on pourrait sortir du chapeau systématiquement. Leur idée est que ce qui est particulièrement efficace en l’occurence est ce qu’ils appellent la stratégie narrative, elle-même imbriquée dans la stratégie de développement de l’organisation (une branche à part entière, donc, de cette stratégie), au service d’objectif, bien évidemment donc, stratégiques.

Passons sur les différences de définitions entre les histoires et les récits. Les chercheurs s’y intéressent, mais en dehors des milieux universitaires, ce débat n’a pas trop d’utilité.

Catalysation de la formation de sens, rôle dans la compréhension, vecteur de perspectives : voilà plus utile.

Deux concepts narratifs pour une stratégie narrative à l’oeuvre dans les processus de changement :

Les auteurs distinguent :

- La constellation narrative :

C’est une série de récits qui impacte les processus de formation de sens en interne et à l’extérieur d’une organisation. Ces histoires incluent le storytelling de marque, les histoires fondatrices, les histoires prospective du futur, et les différentes histoires externes qui environnent l’organisation. La stratégie narrative peut ici situer l’organisation dans sa constellation narrative.

- La divergence narrative :

Ce concept permet de tracer les changements qui s’opèrent dans la constellation narrative. Certaines histoires peuvent évoluer au fil du temps. Certains récits peuvent perdre de leur congruence, d’autres se contredire entre eux. Et le contexte de changement rend souvent ce genre de situation inévitable. Les récits traditionnels de l’organisation ne sont plus trop en adéquation avec sa nouvelle culture émergente. La divergence narrative permet donc d’identifier les tensions dans la constellation. Des contre-récits peuvent être nécessaires et émerger en tant que stratégie narrative.

Ces deux “matrices” peuvent être appréhendées à travers des métaphores, celle de la cartographie - mapping (constellation) et celle du radar (divergence). Les deux ensemble, l’un étant un état, l’autre étant axé sur le mouvement, permettent de bien comprendre comment les démarches de changement peuvent en tirer parti.

Etude de cas narratif chez Merck :

Le processus de transformation de l’entreprise Merck s’est déroulé sur deux décennies. Les chercheurs se sont focalisés plus précisément sur un stade de cette évolution en 2014, donc.

Ils ont analysé les évolutions de récits liés à cette démarche, car c’est effectivement une stratégie narrative que Merck a mis en oeuvre dans le cadre de son projet, qui a impliqué un repositionnement de marque. 

Ces histoires ont véhiculé des messages d’exemplarité, de création de sens et de proposition.

Les récits utilisés :

- nouveau récit de marque

- récit d’innovation

- histoire de progrès

- récit scientifique et technologique

En termes d’histoires de divergences, les histoires internes et externes qui circulaient ne correspondaient plus, au fil du temps, à la réalité et au futur projeté, particulièrement l’histoire portant sur le coeur de compétence de Merck. Notamment, le coeur de compétence de Merck était associé aux métiers pharmaceutiques alors qu’à ce moment, l’entreprise s’était déjà étendue bien au-delà de cette activité historique. Autre exemple marquant de divergence narrative chez Merck : le passage d’une faible différenciation par rapport aux concurrents à un narratif plus spécifique mais pas forcément largement perçu. Autre récit encore : celui d’une entreprise avec une histoire et un ancrage fort dans son pays d’origine mais devenue multinationale et multiculturelle.

Identifier ces histoires et intégrer leur réalité dans une stratégie narrative est un véritable atout dans la démarche de changement.

La nouvelle histoire de Merck : “nous sommes des esprits curieux orientés vers le progrès de l’humanité”

La curiosité est donc la valeur centrale de la narration intégrée à la démarche de changement chez Merck.

Et cela a permis une intégration du storytelling sur 3 axes :

- un cadre pour alignement la marque Merck sur l’évolution de sa gouvernance d’entreprise

- l’exploration des valeurs clés pour un changement culturel de l’organisation, en passant d’une histoire de marque traditionnelle à celle d’une marque “à mission”

- l’adaptabilité nécessaire pour faire le changement

Au final, la stratégie narrative permet, dans une démarche de changement, de cerner l’ensemble des histoires  qui circulent, d’identifier et de gérer les divergences narratives. C’est un cadre qui, tant qu’il est ouvert et non pas statique, a une vraie utilité.

Actualités du storytelling - octobre 2022

storytelling et médias sociaux

Le storytelling continue de fournir un terrain favorable aux recherches universitaires innovantes. Et puisqu’il entre doucement dans les moeurs, les habitudes, ce n’est pas (plus) l’attrait de la nouveauté. C’est l’étude du potentiel de cette technique et tous ses mécanismes qui a l’air de fasciner.

Le storytelling dans la négociation :

Le storytelling peut-il jouer un rôle clé dans des négociations ? Ou alors, n’est-il pas de taille à avoir un réel impact dans ces contextes très particulier et tendus ?

Dans son livre “Narrative culture”, paru chez l’éditeur Wayne State University Press au printemps 2022, la chercheuse Barbara Götsch raconte un cas de négociation entre une ONG marocaine et une agence des Nations Unies.

La négociation, qui portait sur le financement d’un projet de l’association, a basculé lorsqu’une histoire préparée à l’avance a été racontée par le responsable du projet.Quand on dit préparée à l’avance, c’est qu’elle a été conçue dans une optique stratégique, dans le cadre d’un plan, avec donc un niveau de spontanéité zéro. Là où cela devient intéressant, c’est que cette première histoire a été une porte ouverte à plus de storytelling dans les discussions qui ont suivi. Et alors, c’est un storytelling beaucoup plus spontané qui s’est révélé, tranches d’expériences, de vie, et pas uniquement raconté par les responsables de l’association mais par différents acteurs clés de tous niveaux. Ces histoires-là ont été centrées sur des événements du passé auxquels du sens a été donné, et sur un co-construction narrative de l’avenir.

L’ensemble s’est avéré particulièrement efficace, en termes de persuasion de l’agence des Nations Unies, et pour jeter les bases d’une collaboration fructueuse.

Le storytelling pour apprendre une langue étrangère :

Dans la revue scientifique Arabiyatuna (parution 2022), la chercheuse indonésienne Akla Akla a investigué l’apprentissage de la langue arabe par des enfants non natifs. Elle a cherché à savoir ce que le storytelling peut apporter dans ce processus.

Elle a trouvé que le l’usage du storytelling avait déjà un effet positif sur les enseignants, en les rendant plus créatifs dans la conception de leurs enseignements.

Du côté des apprenants, une augmentation des émotions positives ressenties a été constatée à l’égard des enseignements, avec un enthousiasme et un comportement qui a pu être apparenté à une joie d’apprendre.

A l’arrivée, une maîtrise facilitée de la langue.

Storytelling et cancer :

C’est un article paru dans la revue Children & Society en avril 2022 qui m’a éveillé à quelque chose que je ne connaissais pas. Ce sont des chercheurs de la Ryerson University de Toronto au Canada, que je remercie au passage, qui sont à l’origine de ma découverte.

Il s’agit d’un modèle narratif adapté aux maladies et dont l’auteur initial est Arthur Frank, dans son livre “The wounded storyteller” (le storyteller blessé), paru en… 1995. Eh oui, j’étais passé à côté tout ce temps.

Que nous dit Arthur Frank ? Il distingue 3 types d’histoires, de récits expérimentés par les patients confrontés à leur maladie, étant noté qu’il s’agit d’une maladie dite chronique :

- le récit de “restitution” au sens de réhabilitation : le patient se place dans une posture narrative envisageant une guérison. Frank note que ce type d’histoire est le moins fréquent, et est plutôt présent aux premiers stades de la maladie

- le récit de chaos : comme son nom l’indique, l’histoire que raconte et se raconte le patient est celle d’une situation qui ne s’améliorera pas et pour laquelle personne ne peut apporter de réponse satisfaisante. On trouvera ce type de narratif également chez des patients souffrant de symptômes inexpliqués, de fatigue chronique

- le récit de quête : le patient voit son épreuve comme un défi, un challenge à surmonter, une opportunité d’opérer des changements dans sa vie personnelle. Ce sont aussi des narratifs que peuvent se raconter les parents d’enfants malades

Dans l’étude des chercheurs de Ryerson, moins de 20% des patients enfants atteints de cancer qu’ils ont étudié se sont positionnés sur un récit de chaos, les autres se positionnant sur le récit de quête et de restitution. Plus positifs que des adultes, ces récits peuvent nous dire qu’il est important d’associer les enfants à l’histoire qui est la leur, au lieu de vouloir leur cacher la réalité de ce qu’ils sont en train de vivre.

Le storytelling peut-il favoriser la prise de parole de collaborateurs “timides” ?

D’après un article paru dans l’International journal of business communication en mai 2022 (auteurs : des chercheurs de l’University of Texas at Arlington), la réponse est oui.

Des employés d’une entreprise très réticents à la prise de parole au cours d’événements internes ont été soumis à des messages promotionnels les incitant à surmonter leur réticence. Les messages les plus efficaces (les plus persuasifs) ont été ceux qui contenaient du storytelling. Leur faculté à transporter les cibles dans l’histoire qu’ils pourraient vivre en prenant la parole a été décisive. Et il s’agissait pourtant d’employés connus pour leur engagement à l’égard de l’entreprise.

Le Slow Storytelling :

Dans le Journal of Business Research d’octobre 2022, on découvre une contribution la création de valeur du Business Model Innovation (BMI) par le storytelling. Les auteurs sont des chercheurs de la Business school de Copenhague au Danemark, de l’université de Leicester et de Birmingham au Royaume Uni.

Cette nouveauté, c’est une méthodologie de mise en oeuvre du storytelling : le Slow Storytelling.

Il se décompose en 8 étapes :

- Narrer l’organisation, c’est à dire tout simplement raconter son histoire, son historique, les moments clés qui ont jalonné son évolution, faire le récit, aussi, de sa longévité, des générations qui se sont succédées à sa tête, les expériences formatrices qu’elle a pu vivre, les compétences qu’elle a développées

- Opérer une redéfinition du public cible de l’entreprise, l’organisation : pour redéfinir le public des produits et des services de l’entreprise, identifier leurs besoins émergents, et leurs priorités dans la mesure de leur connexion avec l’histoire racontée par l’entreprise

- Mettre en oeuvre “l’héritage” de l’organisation : expliquer l’héritage culturel bâti par l’organisation et intégré dans ses pratiques, ses produits et ses services

- Etablir le tracé du voyage, l’itinéraire : identifier les défis, les obstacles, et dresser le plan de route, pour surmonter ces étapes

- Développer la soutenabilité de cette histoire : cela passe par l’explicitation de la manière dont l’organisation s’engage pour préserver l’environnement, et veut prendre en charge des enjeux sociétaux, que ce soit dans ses pratiques, ou à travers ses produits et ses services

- Toucher le consommateur éthique : en soulignant la connexion des valeurs de l’entreprise avec celles de ces consommateurs (leur alignement)

- Impliquer les clients en tant qu’ambassadeurs, en identifiant comment ils peuvent par la même promouvoir l’organisation et ce qu’elle produit

- Enrichir l’expérience client : articuler des valeurs additionnelles (sociales, culturelles, environnementales, économiques…) et des histoires que les consommateurs peuvent connecter à leurs achats et expériences avec l’organisation

Voici donc quelques nouveautés, parfois hyper récentes, dans le monde de la recherche sur le storytelling.

Actualité du storytelling : été 2022

storytelling et uberisation

Encore beaucoup de richesse dans la production de savoir narratif, par des chercheurs en storytelling.

Le rôle du storytelling chez les “nouveaux travailleurs” :

Les nouveaux travailleurs, ce ne sont pas les nouveaux embauchés, les jeunes diplômés ou quoi que ce soit de ce genre. Ce sont les employés gérés par ce que le chercheur Eric M. Anicich de l’université de Southern California appelle le “management algorithmique”. Intéressante formulation pour dire qu’il s’agit des emplois assignés par des applications mobiles ou des sites web, à des travailleurs individuels (et souvent sous statut d’indépendants), sans collègues identifiés. Bref, un travail à la tâche, dont un objet technologique est l’instigateur et le juge.

A la clé, une dépersonnalisation, et des relations interpersonnelles extrêmement réduites.

Toutefois, ces travailleurs de l’ombre utilisent ce que le chercheur appelle une flexibilité narrative pour construire une forme d’identité narrative introspective. Anicich observe que des moteurs tels qu’une structuration personnelle de leur histoire, une tendance à la mise en fantaisie tout comme, paradoxalement, une rationalisation concomitante sont à l’oeuvre. Dans le même temps, le renforcement de cette histoire de manière collective reste possible, dans les relations avec des pairs au sein des communautés en ligne.

Les contraintes et les conditions défavorables peuvent parfois être le terrain d’opportunités narratives.

Du storytelling dans l’audit :

C’est toute une partie d’un livre qui est consacrée au sujet. Dans “Machine learning for auditors”, publié par Maris Sekar chez Springer, l’auteur détaille dans quels cas le storytelling peut être utilisé pour des missions d’audit.

Sans grande surprise, il identifie surtout la partie communication comme étant particulièrement propice :

- pour communiquer les recommandations de l’audit

- pour faire prendre conscience de l’impact des trouvailles des auditeurs

- pour résumer les insights clés

Entre autres. En se limitant à deux ou trois messages clés, précise Maris Sekar. Et ne se cachant derrière le storytelling pour ne pas contrôler attentivement les résultats de l’audit avant diffusion.

Storytelling et startups :

Un travail de recherche réalisé à la Stockholm School of Business en 2020, dont je viens tout juste de prendre connaissance, a porté sur le rôle du storytelling dans les premiers stades du développement d’une startup.

Il apparaît que le storytelling est une nécessité dans ses débuts pour une startup, pour séduire des investisseurs. Mais juste une histoire ne suffit pas. Il faut que cette histoire soit crédible, pour pouvoir fonctionner. Il n’y a pas de mystérieux effet storytelling en tant que tel, capable d’hypnotiser les investisseurs potentiels.

Bref, rien de révolutionnaire dans cette étude, à part ce rappel que je trouve nécessaire : le storytelling n’a rien de magique. Déconnecté de la réalité, i; ne sert à rien.

Storytelling et empowerment de réfugiés :

Le storytelling peut-il avoir une utilité pour ouvrir un espace d’expression pour des réfugiés, et aussi, par la même occasion, un espace de compréhension pour l’environnement d’accueil, prélude à une meilleure intégration ? Vera Eccarius-Kelly, du Siena College, et Allison Schaeffing, du Russell Sage College (toutes deux aux Etats-Unis), disent clairement oui. Elles ont tout récemment réalisé une étude sur le sujet.

Elles ont pu faire leurs observations dans le cadre d’un projet communautaire impliquant des chercheurs et des réfugiés à Albany dans l’Etat de New York. Ensemble, ils ont créé des histoires digitales ad hoc, visuelles, et dont les “héros” étaient les réfugiés eux-mêmes. Les réfugiés n’ont pas habituellement un accès facile à des modes d’expression. Les productions des réfugiés incluaient des paroles de résistance, de défiance et de clarification.

Autant d’éléments permettant une meilleure compréhension des réfugiés, à la fois relativement à leur passé et à l’histoire présente qu’ils vivent. La plupart du temps, les réfugiés ont tendance à être perçus comme des bénéficiaires passifs de l’Etat providence, ou alors relativement à leur origine raciale ou religieuse. Bref, comme un poids ou un danger, voire les deux. De leur côté, les réfugiés ont tendance à être uniquement appelés à raconter les horreurs qu’ils ont pu vivre et qui les ont conduits à fuir, alors qu’ils ne se réduisent pas à cela. De belles possibilités de sortir de ces préjugés et d’aller de l’avant vers un avenir commun.

L’humour ou le côté dramatique : qu’est-ce qui est le plus efficace pour les marques ?

Les chercheurs indiens Dharun Kasilingam et Soundararaj Ajitha ont publié un article dans le Journal of Brand management en mars 2022, sur un aspect encore peu étudié du storytelling des marques.

Le storytelling est certes reconnu comme étant particulièrement efficace dans le branding. J’ai moi-même écrit plusieurs articles par le passé sur ce thème précis. Mais il y a encore beaucoup de flou concernant les motivations des consommateurs à l’égard des marques.

Les deux chercheurs ont analysé les différences entre deux types de storytelling : le storytelling humoristique et le storytelling dramatique.

Ils ont identifié que le storytelling humoristique est le plus souvent associé à une réaction affective, force motrice de la sympathie éprouvée envers une marque. Et pour ce qui est du storytelling dramatique : c’est une évaluation cognitive qui est la force principale.

Toutefois, et c’est là que l’enseignement de l’étude est précieux : le storytelling humoristique est plus efficace que le storytelling dramatique dans la formation du capital sympathie de la marque. Intéressant.

Matérialité, création de sens et storytelling :

Intéressant travail de réflexion de la part d”une équipe de la School of business and management de la Royal Holloway University of London.

Le thème : comment donner du sens au concept de matérialité ? Ambigu comme est ce concept, le storytelling peut lui apporter de concret, de perceptible.

Les chercheurs ont constaté que la population auprès de laquelle ils ont enquêté (des cadres dans le domaine de l’audit-reporting, financier et non financier) avait énormément de mal à définir le concept de matérialité. Par contre, ils étaient beaucoup plus à l’aise pour raconter des histoires de matérialité à l’oeuvre.

Trois types d’histoires peuvent être distinguées :

- les histoires vécues (des expériences personnelles de matérialité)

- les histoires adoptées (des histoires non-personnelles qui existaient déjà dans le paysage narratif, lues dans les médias par exemple)

- les histoires hypothétiques (les autres histoires qui n’appartiennent à aucune des deux autres catégories, construites de toutes pièces, imaginées, et qui peuvent donc relever de la fiction)

De nouvelles nouveautés, donc, qui montrent combien le storytelling est dynamique et continue de montrer ses multiples champs d’application et d’efficacité.

Les dernières nouvelles du storytelling - juin 2022

research

Voici une nouvelle fournée de dernières actualités du storytelling. Des résultats de recherche universitaire, de chercheurs, parmi les plus récents qui soient, à travers le monde. Et encore une fois, l’actualité est forte dans ce domaine.

L’effet du storytelling sur l’apprentissage du lavage des mains des enfants indonésiens à l’école :

Des chercheurs indonésiens ont publié une très intéressante étude, menée en 2021, dans la publication de l’International Virtual Conference on Nursing 2022. Ce qui est intéressant, c’est que ce ne sont pas des spécialistes du storytelling qui parlent du storytelling, mais des acteurs d’un domaine, le domaine de la santé en l’occurence, qui s’expriment.

Le lavage des mains est redevenu un enjeu majeur à l’occasion de la Covid 19. Dans leur mission d’éducation à la santé, les personnes qui encadrent les enfants en âge scolaire en Indonésie ont donc testé l”efficacité du storytelling pour transmettre cette habitude bien saine.

L’étude a porté sur la connaissance de ce geste barrière et l’attitude à son égard. Les chercheurs ont constaté une plus grande facilité de compréhension par les enfants, une plus grande mémorisation aussi. Les résultats ont été suffisamment significatifs pour justifier un article scientifique. L’augmentation de la motivation des enfants pour se laver les mains a même été de 100%, attribuée au storytelling. L’utilisation de poupées en appui du récit a aussi été instrumentale dans le succès. On pense ici à la bien connue efficacité d’un objet ou d’une image apportés en soutien à une histoire, quelle qu’elle soit (Steve Jobs pratiquait aussi cette technique pour ses présentations produits).

Le storytelling révélateur de la parole silencieuse :

Des chercheurs de l’University College of Cork en Irlande ont exploré les impacts de la prise de parole utilisant le storytelling, dans des situations où cette parole ne s’exprimait pas jusque là, quelles qu’en soient les raisons. Leurs résultats sont parus dans un numéro de la publication Scenario en 2021.

Les chercheurs appellent cela “le storytelling autoethnographique” : une parole, un récit sur soi, qui révèle des réalités fruits d’une forme d’introspection. C’est ainsi que des voix qui ne sont jamais entendues, ou alors réduites au silence, ou encore marginalisées, peuvent s’exprimer. A condition toutefois d’être placé dans le contexte approprié. A la clé, et c’est là que le côté ethno entre en scène, cette parole narrative a des vertus curatives tout en ayant un impact sur a promotion de la justice sociale et du changement sociétal. Il semble aussi, d’après les chercheurs, que le storytelling permette plus facilement de s’assumer lorsqu’on a du mal a accepter d’être la personne que l’on est.

Pour que cela puisse se faire dans une atmosphère sécurisante, ce sont des cicatrices et non pas des blessures qui doivent être racontées. Les soins des blessures est aussi une nécessité, mais c’est une autre démarche. La sécurité s’étend aux conséquences potentielles de la narration des histoires, qui, selon leur nature, peuvent provoquer des dégâts. Et changer les noms des personnes réelles mentionnées peut ne pas suffire. Pas simple de se faire du bien quand d’autres que soi sont impactés.

Le storytelling, ça marche aussi pour les enseignes de seconde main :

Oui, les magasins qui vendent des produits d’occasion ont aussi avantage à utiliser le storytelling, pour acquérir de la légitimité. Des chercheurs de l’université de Groningen aux Pays-Bas ont publié un article sur le sujet en février 2022 dans le Social Enterprise Journal.

Les magasins de seconde main sont souvent associés à une grande cause sociale, car ils sont rattachés à des associations caritatives, ou, quand ce n’est pas le cas, ont au moins un ancrage dans l’économie solidaire.

Cela marche avec certains clients : l’identité est le message et cela peut suffire. Mais ce n’est pas tout. Aujourd’hui, la vague du vintage se répand. Et cela donne d’autres opportunités de storytelling pour ces enseignes.

Les chercheurs ont constaté un switch du storytelling des enseignes de seconde sur leurs sites web : ce n’est aujourd’hui plus tant l’histoire de la cause qui est mise en avant. C’est l’histoire vintage des produits vendus qui a pris le pas. Et c’est ainsi que le storytelling commercial tend à être traité séparément du storytelling plus institutionnel de l’enseigne, qui reste tout de même nécessaire.

Storytelling et médecine d’urgence : un combo efficace

C’est un travail de recherche rare. Déjà parce que ce ne sont pas des universitaires spécialistes du storytelling qui en sont les auteurs, mais des utilisateurs-observateurs de l’utilisation de la narration dans leur univers professionnel. Ensuite, parce que c’est dans le domaine de la médecine d’urgence que cela se passe.

Comment peut-il y avoir de la place dans une activité où l’urgence n’est pas de parler mais d’agir ? Des praticiens du Maimonides Medical Center de New York nous expliquent, dans leur article paru en 2022 dans Current Research in Emergency Medecine.

Ils ont observé un programme de narration formalisée d’histoires professionnelles au sein de leur communauté professionnelle. Ils se sont aperçus que cette pratique d’échange d’histoires entre médecins urgentistes permettait de faire émerger des émotions qui n’avaient nul autre espace pour s’exprimer. Et que ces émotions, loin d’être une pure expression du pathos, avec un intérêt cathartique, avaient des vertus totalement professionnelles d’enrichissement des compétences des praticiens.

Storytelling, handicap et islamisme :

Comme toute chose, le storytelling peut être utilisé à des fins vertueuses, ou pas. Dans un numéro de la revue Sociology Study paru début 2022, des chercheurs italiens de plusieurs instituts ont étudié une stratégie d’utilisation du storytelling bien particulière utilisée par l’Etat islamique.

Il s’agissait d’une stratégie de recrutement de personnes en situation de handicap.

La communication de recrutement, complètement imprégnée de storytelling, mettait en avant une forte empathie avec les personnes visées, tout en délivrant un message d’encouragement à mettre en oeuvre “des capacités de faire des choses, d’agir, d’atteindre un but”. Inutile de préciser les buts en question dans cet article, au vu des commanditaires, on imagine aisément ce dont il peut s’agir. Des histoires d’être, faisant des handicaps des valeurs ajoutées, et de savoir faire ont montré leur efficacité.

Un handicap physique ou mental n’est pas un facteur limitant, mais au contraire un élément d’intégration et favorisant le sentiment d’appartenance à un groupe au sein duquel tout est possible.

Gageons qu’il doit également être possible d’utiliser de tels sentiments au service du bien et de projets positifs pour les personnes en situation de handicap et leur environnement social.

J’ai voulu explorer dans cet article certains des sujets émergents du narratif, du storytelling. Les sujets disruptifs, aussi, pour lesquels on n’imagine pas forcément une connexion avec le storytelling et qui, pourtant, on du storytelling au coeur de leurs réalités.

L’actu du storytelling - mai 2022

zoom sur le storytelling

Que se passe-t-il dans le monde du storytelling et sa banlieue ? (j’emprunte la formule à la phrase d’ouverture du 18-20 quotidien de France Inter)

Zoom, donc, sur l’actualité. Passage en revue des enseignements des dernières parutions et recherches dans le domaine du narratif.

Le process du storytelling :

Dans son livre “Knowledge management and the practice of storytelling”, paru en 2022, Johel Brown-Grant apporte un éclairage intéressant sur le process du storytelling, en une sorte de mode d’emploi opératoire.

Première étape : le story-making

Contrairement à ce que certains voudraient faire croire, le story-making n’est pas une nouveauté. A la base de tout storytelling, il y a toujours eu la construction d’une histoire. Des événements sont architecturés entre eux (ou tissés, si on veut utiliser une image autre), pour former une histoire apte à transmettre un message et éveiller l’imagination et les sens du public. C’est comme un arrangement musical (autre image), fait d’éléments réels et imaginés. Mais le savoir-faire technique ne suffit pas, nous dit Johel Brown-Grant. Il faut aussi être capable de percevoir une histoire potentielle (une histoire dans laquelle les publics auront envie de se plonger), et de voir le potentiel qu’a une histoire donnée (celle qui amènera les publics à agir, finalité obligée de toute histoire). Il faudra pour cela être capable de bien comprendre les symboles et le système de valeurs applicable dans la communauté du public visé. Et comme le dit Brown-Grant, tout l’art consiste à faire résonner une histoire fictive avec la véritable réalité humaine.

Ensuite : l’art de raconter

Il s’agit de trouver une “voix” qui parle à l’auditoire. Evidemment, on ne parle pas ici uniquement de storytelling vocal, à l’oral. La voix a une signification plus large. Il y a du style et des procédés rhétoriques à l’oeuvre. La voix est au final l’identité et la signature du storyteller. C’est un peu comme ce qui différencie un violoniste d’un autre, de même niveau technique. Ce n’est pas acquis, ce n’est pas définitif. Non pas que l’on puisse perdre son identité, le risque n’est pas là, même si on ne peut pas l’écarter. Le défi est davantage dans l’adaptation : un ajustement constant aux circonstances, changeantes, aux différents publics et aux changements culturels plus profonds qui peuvent avoir un impact au moment de la narration et par la suite. Avec donc, aussi, une part non négligeable d’anticipation.

Et aussi : écouter le public, et le comprendre

Ce n’est pas tout. Et cela découle des dernières lignes ci-dessus. Le storytelling est une aventure collective. Et l’un des personnages clés de l’histoire est le public. Ce n’est pas un monologue. Ou du moins, si on le considère comme cela, il ne marche pas. Il y a un dialogue entre le storyteller et son public. Même s’il n’est pas vocal et formalisé, un contrat s’établit entre eux. Ce n’est pas rien que d’accepter d’offrir de l’attention à une histoire, et éventuellement en faire quelque chose. Tout cela a de la valeur. C’est aussi un coût d’opportunité pour le public, qui pourrait bien faire autre chose pendant ce temps, de plus gratifiant, éventuellement. Comprendre ses besoins, parler sa langue, être en phase avec cela, est une clé. C’est un travail d’ethnologue, pour savoir ce que le public pense et ce en quoi il croit. CQFD : il faut “devenir un membre” de l’auditoire.

Répéter, affiner :

En partageant avec les autres, on apprend beaucoup. On apprend à identifier ses points faibles, pour mieux travailler à les améliorer, ses capacités aussi, et maîtriser ses forces. En répétant, on arrive à mobiliser ses ressources internes et externes. Le storytelling n’est pas un acquis, c’est un défi permanent. Et il n’y a pas d’autre choix que de le relever pour rester au niveau et s’améliorer. Il s’agit de discuter avec ses pairs, les autres storytellers, mais aussi de se tester auprès des publics eux-mêmes. Il ne faut pas avoir peur de la confrontation, car le storytelling n’est pas un acte de duplicité, de manipulation, mais de courage si on veut vraiment le faire correctement. Le développement permanent de ses compétneces fait partie du travail du storyteller.

Journalisme narratif et gamification :

Dans le livre Total journalism, piloté par de plusieurs auteurs, et paru en 2022, les actus les plus récentes concernant les évolutions du journalisme sont abordées. Parmi elles, quelque chose qui m’a bien étonné, car je n’en avait jamais entendu parlé : la gamification dans le journalisme narratif digital. On parle ici de la gamification traditionnelle et aussi de jeux informationnels, si on peut les appeler comme ça. Le chapitre du livre qui parle de ce sujet a été spécifiquement écrit par des chercheurs de l’université d’Elche en Espagne et de l’université de Karlstad en Suède.

Les contenus dont il s’agit sont un peu des OVNI, entre le journalisme, le jeu, la simulation et l’interaction avec le public. Le tout est mis au service de l’analyse d’un sujet, d’une thématique d’actualité, et pour générer le débat.

Et visiblement, d’après les auteurs, ce type de format marche bien. C’est noté.

Nouvelle preuve d’efficacité du storytelling dans le marketing :

Dans l’une des dernières éditions 2022 du Journal of marketing analytics, des chercheurs portugais de Leiria (CARME). Les chercheurs ont procédé à un recueil de données via une enquête et ont analysé les résultats. Ils sont très positifs pour le storytelling.

Le storytelling améliore les réponses cognitive des consommateurs, en termes d’identification à la marque et stimule les réponses émotionnelles via l’attachement affectif à la marque. Tout aussi intéressant, voire plus encore pour certains, l’intention d’achat est positivement stimulée.

Les réponses émotionnelles sont plus fortes que les réponses cognitives, dans les résultats de l’enquête. Les réponses cognitives ont cependant un impact plus fort sur les intentions d’achat. Au final, l’expérience de la relation client-marque est boostée par le storytelling, ce qui est une très bonne chose.

Rien de révolutionnaire dans cette étude, mais il est bon de voir que les études passent et que les conclusions d’efficacité du storytelling dans le marketing restent concordantes.

Le storytelling dans l’apprentissage des langues :

J’en parle vite fait, car j’ai vu passer deux articles relatant des travaux de recherche sur le sujet. Alors, bien évidemment, cela ne veut pas du tout dire que le thème est particulièrement hype chez les chercheurs, mais tout de même. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les universitaires se penchent sur l’intérêt d’utiliser le storytelling dans l’enseignement. Là, il s’agit d’un sujet peut-être un peu courant : l’enseignement de la langue. L’une des études que j’ai pu repérer s’est intéressée à l’utilisation du storytelling pour enseigner l’anglais langue étrangère. L’autre s’est focalisée sur l’enseignement du vocabulaire aux enfants. Dans les deux cas, une contribution très positive du storytelling a été notée.

Voilà pour aujourd’hui. Je continuerai à monitorer les avancées des réflexions sur le storytelling, la narration, le narratif, les histoires de par le monde, ou quel que soit le mot que l’on utilise. Et je vous ferai part régulièrement de ce que je pourrai repérer de notable.

Pour un storytelling plus directement opérationnel, je vous recommande de me retrouver sur Storytelling France.

Robots et storytelling font bon ménage

robotss et storytelling

Est-ce que des robots peuvent aider à générer un storytelling émotionnel, et inclusif qui plus est ?

La réponse est oui. Et le sujet a été étudié par l’équipe de chercheurs portugais de l’Universidade de Lisboa Antunes, Neto, Correia, Paiva et Nicolau. Ils ont présenté leurs résultats lors de l’édition 2022 de l’International conference on human-robot interaction, qui a eu lieu en mars à Sapporo au Japon. Au monet où j’écris cet article, c’est donc tout frais.

Alors en fait, les chercheurs ont ajouté une dimension supplémentaire : il y a dans le projet étudié des robots, du storytelling et un public d’enfants atteints de handicap visuel. C’est donc aussi sur le terrain de l’inclusivité et du collaboratif que se porte cet article que j’écris. Et l’impact du storytelling.

La question est donc : est-ce que des enfants en situation de handicap peuvent co-créer des histoires en recevant l’aide de robots qui font preuve de comportements chargés d’émotions ?

Intéressante question que voilà. Et quelle est la force créative de ces histoires ? Les robots arrivent-ils à assurer un apport à un acte on ne peut plus humain, la narration ?

Les facteurs clés de réussite de ce storytelling :

- dépasser la vision qui consiste à prioriser l’accès des enfants en situation de handicap visuel à l’éducation plutôt que de se focaliser sur une démarche réellement inclusive. Car rien ne sert de mêler ces enfants à des élèves sans handicap dans des classes, s’il n’y a pas véritablement de travail en commun entre eux

- le développement d’environnements multisensoriels, car ils favorisent l’immersion

- l’interactivité, liée à l’inclusivité, dont elle est l’expression concrète

Ce qui a été réalisé :

Un espace multisensoriel et interactif a été installé. Dans cet espace, les enfants (le groupe avait de 6 à 10 ans) trouvaient des objets familiers (des jouets) et avaient aussi la possibilité d’interagir avec le fameux robot. L’objectif des enfants était de concevoir une histoire avec tous ces inputs stimulants, de manière collaborative, mais sans consigne particulière, de manière libre.

Pour ceux et celles qui connaissent un peu l’univers des robots, il s’agissait là d’un Ozobot Evo, robot éducatif bien connu. Ses comportements émotionnels incluaient de l’auditif, du tactile et un certain niveau de visuel (sachant que les enfants souffraient de handicap visuel mais n’étaient pas non-voyants, le groupe n’était composé que de mal-voyants, capables d’avoir des perceptions visuelles). A noter : des émotions positives et négatives ont été utilisées.

A noter encore : deux groupes d’enfants ont été constitués. Dans l’un des groupes, le robot avait ses comportements émotionnels activés, dans l’autre, il était éteint et ne pouvait donc servir que de jouet au même titre que les autres qui étaient présents sur les lieux.

Les résultats de cette expérience de storytelling :

- Les comportements du robot ont généré plus de manipulations et d’engagement de la part des enfants que le robot éteint.

- Il n’y a pas eu par contre de différence en terme de créativité de l’histoire construite. Le robot émotionnel n’a pas eu d’impact sur ce plan là.

- Par contre, les comportements émotionnels du robot ont accru les contenus émotionnels de l’histoire créée.

- Pas de différence au niveau de l’aspect collectif du travail de construction de l’histoire, entre le groupe avec un robot inactif et un robot actif.

- Les comportements du robot ont accru l’acceptation des idées exprimées dans l’histoire.

On peut donc voir tout l’effet des émotions sur la création d’un storytelling. Même les émotions apportées par un robot ont un effet notable, c’est dire. Le fait que ce soient des enfants et qu’ils soient en situation de handicap est un facteur supplémentaire de puissance des émotions. Cela veut bien dire que cette puissance est très forte. Et comme les émotions sont une partie importante, et même cruciale, du storytelling, et bien c’est de la puissance du storytelling dont il est question ici. Une démonstration intéressante en est faite.

Que se passe-t-il dans le vaste monde du storytelling

recherche universitaire storytelling

Revue d’actualité, puisée dans le réservoir des travaux de recherche universitaire dans le domaine de la narration (”le narratif”, comme dit mon fils), parus récemment.

Le populisme comme acte de storytelling :

Peut-on placer sur le même plan Donald Trump et Greta Thunberg ? Qui plus est qualifiant leurs productions discursives de populisme ? C’et osé, mais c’est pourtant bien ce que deux chercheurs scandinaves ont fait.

Pour eux, le populisme est une performance de storytelling, impliquant un “diseur de vérité” et un cadre narratif populiste. Pour être précis, ils définissent le sens du récit populiste comme un procédé visant à produire du sens pour guider des publics dans des contextes faits d’incertitude, de complexité et de contestation, qui ne permettent pas de se baser uniquement sur des modes de pensée rationnels et formels. Voilà qui n’est pas complètement négatif, du coup.

Sur le thème spécifique du changement climatique, ils observent des drivers similaires entre ces deux figures emblématiques, malgré leurs oppositions théoriques fondamentales. Dans les deux cas, un héros “diseur de vérité” est à l’oeuvre et avec une structure narrative quasi identique.

Une illustration des propos des chercheurs (Johan Nordensvard de la Linköping University en Suède, et Markus Ketola de l’université d’Edimbourg en Ecosse) :

storytelling et populisme

Dans les deux cas (Trump et Thunberg), la visée des récits est de simplifier la complexité, même si la logique qui sous-tend ces actions est bien différente. En tout cas, voilà une mise en parallèle bien audacieuse.

L’alliance entre le storytelling et la religion au service de la santé :

Voilà encore un sujet qui va encore faire jaser, car il n’est pas mainstream. Disons, pas dans les discours que l’on voit souvent. Cette fois, ce sont des chercheurs malais de la UiTM Cawangan Pulau Pinang qui ont publié leurs résultats dans l’International Journal of Avanced Research in Education and Society. Je le précise pour qu’on objecte pas que les travaux de chercheurs malais ne seraient pas dignes d’intérêt.

Voici donc ce à quoi ils sont arrivés.

Ils ont analysé le storytelling digital d’un religieux musulman, lorsqu’il a parlé de la Covid-19. A noter : lorsqu’il s’est exprimé sur le sujet, c’était pour reprendre les messages consensuels du monde médical.

Quel a été le résultat ? Et bien, l’alliance du discours religieux (la connaissance de l’Islam) et du message - la connaissance de type médical présenté sous forme de conseils du dignitaire religieux a produit des effets très forts. La foi vient appuyer l’adoption des bonnes pratiques de protection contre la Covid.

Promouvoir la justice sociale avec le storytelling dans les musées :

Dans la revue Museum & Society (revue scientifique, je précise encore), deux chercheuses de la California State University ont étudié une exposition du musée d’anthropologie de leur université (eh oui, aux Etats-Unis, certaines universités ont leurs propres musées, voire même leur propre aéroport… Amazing !). Cette exposition, baptisée “In-Dignity” (je traduis quand même, même si c’est clair : In-dignité) présentait l’histoire de personnes de la communauté locale au passé particulièrement compliqué, et issues de minorités et d’identités dites intersectionnelles. Il faut dire que la California State University est installée à San Bernardino, une ville connue pour son fort taux de criminalité.

Discrimination, harcèlement, micro-agressions, exclusion : voici les thèmes majeurs des histoires de ces personnes, autant de barrières à l’appartenance réelle à la communauté et aussi un obstacle sérieux à un niveau satisfaisant d’estime de soi.

Les chercheuses ont découvert que connecter les gens (les victimes de ces histoires) et le public avec cette forme de storytelling s’est avéré être un vecteur efficace de promotion de la justice sociale, de la dignité humaine, de la prise de conscience des enjeux de la communauté, de remise en question des hiérarchies de pouvoir. Ajoutons que le média exposition est aussi à prendre en compte dans l’impact du dispositif.

Du storytelling pour faire du knowledge management :

Christopher G. Myers, de la Johns Hopkins University, a travaillé sur l’apprenance, le transfert de connaissances, au sein d’une communauté très spécifique : celle des équipages de transport aérien médicalisé. Il s’est rendu compte que les évolutions de contextes de travail dans le domaine ne rendaient plus possibles les anciens modes de transmission des connaissances.  Avec plus d’ambiguïtés et moins de process observables, c’est à dire moins de procédures établies en place, l’observation directe et les transferts de connaissance formels ne sont plus pertinents.

Le chercheur a établi un modèle d’utilisation du storytelling pour arriver à cet objectif essentiel de partage des connaissances.

Il a identifié plusieurs phases : déclencher les histoires, la narration, et la transformation (en matériel d’apprentissage). Intéressante approche. L’idée est de convertir des expériences brutes, vécues, en éléments utiles pour en faire une forme de connaissance prospective, sur forme de “bases de données” de réponses utilisables lorsque des événements se produisent en cours de mission.

Du storytelling pour les bibliothèques publiques et pour attirer des dons :

Le storytelling est étudié comme vecteur d’efficacité dans la montée en compétences des bibliothécaires et leurs relationnel avec les donateurs. Eh oui, parce que nous sommes aux Etats-Unis, et que le statut public n’y empêche pas une interaction plus ou moins forte avec le privé. Au fil de leur parcours mtier, les bibliothécaires deviennent de storytellers experts, autant pour recueillir des histoires que pour les cultiver, les faire grandir, solliciter la narration d’histoires et aussi en assurer l’intendance. Tout cela au service de relations “narrativées”. Ce travail de recherche a été effectué par deux professeurs de l’University of Illinois at Urbana Champaign.

Il s’agit là de plusieurs exemples, très divers, de ce qui se passe dans le petit (et le grand) monde du storytelling. Loin d’être uniquement dédié à une utilisation marketing, le storytelling montre toute l’étendue de son potentiel. Et c’est bien au delà des seuls usages mercantiles qu’il se positionne comme outil de choix.

Santé, social, action publique… De nombreuses utilisations vertueuses ont été l’objet de travaux de recherche. Une imbrication du storytelling dans les grands sujets d’actualité (santé - Covid 19, religion, populisme) montre aussi qu’il sait être partie prenante de enjeux qui comptent.

Et vous pouvez avoir sur notre site Storytelling France un aperçu de ces différents usages rien qu’en regardant défiler le slider de nos références, qu’elles se situent dans le registre des entreprises (secteurs multiples, du food aux médias en passant par les banques), des institutions publiques ou des organismes et établissements de formation.

Du storytelling pour la co-construction citoyenne

storytelling participatif

Parmi les utilisations possibles du storytelling qui ne souffrent d’aucun soupçon de manipulation ou quoi que ce soit de ce genre, il y a la construction collaborative, participative d’une nouvelle histoire de vie dans la ville, l’espace urbain, le territoire.

Encore que, quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage… alors il se trouvera bien quelqu’un pour dire du mal de cet usage-ci également.

C’est en tout cas un sujet abordé lors de Design Culture(s), conférence organisée durant 4 jours à l’université Sapienza de Rome en juin 2021, à l’instigation de Cumulus (http://www.cumulusroma2020.org/ - http://www.cumulusassociation.org/). Voilà, maintenant vous savez tout sur le décor de l’histoire.

Les chercheurs qui ont abordé ce sujet spécifique sont issus de Politecnico di Milano. Autant dire que leurs réflexions ne sont pas issues de leur seule expérience personnelle de la chose renforcée par la lecture concordante avec leurs idées de mystérieuses sources aussi fiables que peut l’être Facebook. Bref, leur analyse vient de l’utilisation de vraies méthodes scientifiques. Voilà, je mets ça là…

Le contexte :

Leur recherche porte sur ce qui a été pratiqué dans la ville d’Ivrea, qui fait partie de la métropole de Turin en Italie. Ivrea, pour la petite histoire, a été inscrite au patrimoine de l’UNESCO (en 2018) pour son riche passé industriel. Berceau de la société Olivetti, légende de l’essor technologique du 20è siècle, elle est, il faut le dire, emblématique de ce que l’on appelle les aires urbaines industrielles.

Le fondateur d’Olivetti (créée en 1908, quand même !) étant décédé en 1960, la suite de l’histoire d’Ivrea a été marquée par un déclin de l’entreprise et, de manière ultime, par une fragmentation progressive de l’unité architecturale qu’elle avait

Ici, c’est donc une démarche dite de “design participatif” couplée à des méthodes storytelling qui a été mise en oeuvre pour dynamiser un engagement citoyen dans les communautés locales, orienté vers la construction en commun de futurs possibles (scénarios, donc storytelling).

Pour le Politecnico de Milan, ce travail s’est inscrit dans un projet s’intéressant à la notion de “mythe” dans l’espace urbain. L’idée est de se demander quel est le rôle des mythes dans la transformation des villes d’aujourd’hui, de leur imaginaire et leurs identités multiples, et dans quelle mesure une contre-histoire peut se développer face à l’histoire dominante. Personnellement, je regrette bien de ne pas avoir la possibilité de participer à un tel programme de recherche…

La méthode participative de storytelling utilisée pour construire le projet de nouvelle histoire urbaine d’Ivrea :

  • Audit de l’état des lieux :

Première étape : une exploration du contexte, avec un focus sur le passé et le présent. Bien entendu, cela s’est fait en collectant des histoires, auprès des institutions et organisations locales, mais aussi auprès de groupes de citoyens non formalisés. C’est à dire pas uniquement auprès d’associations, pour éviter les biais. Première surprise : au lieu de se retrouver face à un background monologique, marqué par le passé industriel glorieux, les chercheurs ont découvert des représentations locales très contrastées et même conflictuelles, avec des identités plurielles. Les chercheurs ont appelé “géographies recouvrantes” les réalités issues de changements successifs dans différentes portions de la ville, qui se chevauchent. Des storytelling qui se chevauchent sans s’assembler comme des pièces de puzzle, en somme.

Le constat général était tout de même, malgré ces “continents” en collision, qu’une forme d’immobilité marquait le territoire, sur fond de nostalgie d’un âge d’or à jamais disparu. Difficile en effet de se projeter dans une nouvelle histoire, quand le poids d’un passé glorieux est si fort que ceux qui veulent aller de l’avant en faisant table rase se heurtent à la mémoire perçue par d’autres comme un devoir.

  • Le projet, pour aller de l’avant :

Résilience, voilà le maître mot de la démarche.

L’objectif n’était pas de susciter la création d’objets, d’espaces ou quoi que ce soit de ce genre. L’idée était bien plus orientée vers la création d’expériences, c’est à dire d’histoires à vivre, et de visions d’un futur alternatif.

A noter : ce n’est pas dans le registre du rêve mais celui de possibilités tenant compte des contraintes effectives du territoire que la démarche s’est inscrite.

C’est néanmoins un design laissant la part belle à l’imagination et n’écartant pas la fiction dans le processus : un univers de fiction, hypothétique, est généré, mais, en coordination avec la résilience de la population locale, il est sensé pouvoir devenir réel. Ben oui, si c’est juste pour imaginer sans perspective de réaliser, c’est juste du fun, et on peut alors se passer d’écrire tout un article de blog sur le sujet !

La méthode était axée sur la jeu, avec des cartes et d’autres stimulations créatives participatives issues du design thinking par exemple, dans le but de générer des contenus que l’on peut qualifier de co-narration et d’histoires parallèles.

4 groupes composés de citoyens à titre individuel, d’associations et de groupes informels (il s’agissait bien de groupes de personnes rassemblés autour d’un centre d’intérêt commun, mais non institutionnalisés) ont été constitués. Ils représentaient les différents secteurs géographiques du territoire d’Ivrea, avec également un critère de diversité d’âges.

La co-narration (ou co-design)  en détail :

  • Activité 1 : construction d’un univers narratif commun

Une vision physique et conceptuelle partagée d’Ivrea, à partir des récits subjectifs et factuels de la mémoire du territoire, de la part des participants.

La transcription de ce travail s’est faite sur une map. Sur cette map (la base de départ était une représentation hyper épurée d’Ivrea), les participants ont été invités à matérialiser des zones thématisées, emblématiques de la ville. Cette matérialisation a permis de délimiter les frontières du territoire narratif.

Dans une seconde étape, chaque participant a dû sélectionner deux lieux-zones, façon best of en termes d’expériences et de souvenirs du passé.

Enfin, pour tout le monde, séquence identification de personnages clés, réels ou imaginaires, pour en tirer des archétypes.

  • Activité 2 : “Et si… ?” (exploration du fictif)

A partir, évidemment, de l’univers créé lors de l’activité 1.

L’idée est de créer une nouvelle histoire, fictive, hypothétique, dans lequel l’équilibre antérieur d’Ivrea a été balayé. Quelque chose s’est passé, une déstabilisation majeure de l’existant, et une nouvelle ère a pu s’ouvrir. C’est un monde alternatif qui est alors permis.

Cette nouvelle histoire comprend un arc narratif au sein duquel évoluent des personnages, des outils-artefacts à l’oeuvre, avec aussi des lieux, ainsi que des actions et des événements inattendus. Imagination maximale requise.

En plus des apports de la première activité, des stimulations sous forme d’objet, de photo et d’un article de journal, prétendument du monde parallèle d’Ivrea ont été fournis aux participants. Le récit de l’événement majeur rompant l’équilibre antérieur (une catastrophe naturelle, en fait) a aussi été fourni.

Face à la situation, les participants ont été invités à créer (en les dessinant) des archétypes d’une communauté de héros à même de répondre au défi de la catastrophe.

La tâche suivante a consisté à construire un “voyage du héros” (modèle bien connu d’histoire, conçu par Joseph Campbell) autour des lieux-zones best of sélectionnés lors de l’activité 1. Le tout utilisait la forme d’un jeu de société, avec un dé pour progresser et des cartes à piocher (deck “outils” et deck “événements inattendus”). Chaque héros de la communauté était l’acteur central d’un chapitre de l’histoire globale conçue à travers le jeu.

Une boîte à outils narrative a ainsi débouché de ces deux activités, composée des différents ingrédients d’une histoire : lieux, personnages, événements et récits, pour favoriser une immersion dans le futur possible, en phase ultime du projet. Cette phase est, à l’heure où les chercheurs écrivent leur communication, encore en cours.

L’heure est à présent à la mise au point d’une représentation théâtrale issue de ce travail, forme de restitution du chantier participatif réalisé et prélude, sans aucun doute à une progression vers une nouvelle histoire, un nouveau storytelling d’Ivrea.

C’est aussi pour ce genre d’usage du storytelling que Storytelling France peut vous accompagner.

Les tendances 2022 du storytelling

tendances 2022

Chaque année à peu près à la même période, j’y vais de mon petit panorama des tendances de storytelling. Ou du moins, des tendances de communication, marketing et autres, dans lesquelles on trouve une part non négligeable de storytelling. Voici l’édition 2022.

Davantage de storytelling qui se la raconte :

Les antivax se la racontent. Tantôt défenseurs des libertés, veilleurs face à la dictature rampante (et visqueuse), tantôt hérauts (et héros) de la “vraie” médecine, protecteurs de notre santé face aux tentatives des laboratoires (big pharma) de nous implanter des puces électroniques dans le corps tellement ce que nous faisons de nos journées est d’une importance capitale et inaccessible autrement. Tantôt, encore, interprètes de données scientifiques, quitte à oublier les bases toutes simples des maths et à ne retenir que les données qui arrangent leurs thèses… Et j’en passe et des meilleures.

Les médecins épidémiologistes ou autres spécialités connexes se la racontent. C’est à qui se revendique scientifique d’élite, numéro 1 des prédictions, en déclamant que, bien entendu, les autres sont au mieux moins bons, au pire carrément mauvais.

Les soignants se la racontent aussi. Tous les problèmes de l’hôpital seraient résolus avec plus de moyens financiers et humains.

L’OMS se la raconte, à grands renforts d’incantations à fournir des vaccins aux pays pauvres, mais avec une inaptitude à assurer une logistique vaccinale dont bon nombre de ces pays ne disposent pas.

Les décideurs se la racontent, en ayant l’impression de maîtriser la situation, ou du moins d’être les maîtres des décisions.

Bref, quand chacun se raconte à soi-même sa propre histoire, personne n’échange, ne discute, ne se parle. Les opinions voire les croyances sont ici à l’oeuvre, et c’est un terrain stérile. C’est un storytelling improductif, inutile. Et il est très présent en 2022, dans la continuité de l’année dernière. Rappelons que ce qui fait avancer les choses, c’est bien “les histoires comme monnaie d’échange des rapports humains”, comme le disait si bien Robert McKee.

C’est assurément une bien mauvaise tendance.

Le morcellement narratif :

Voici encore une mauvaise tendance (je commence par les mauvaises nouvelles, pour finir par les bonnes et ainsi terminer sur une bonne impression).

Cela existait déjà, mais grimpe dans les pratiques. Prenez une histoire, tirez-en un tout petit morceau et mettez-le en exergue. Et voilà que vous avez… un OVNI, une histoire sans queue ni tête, au mieux un tête à queue. C’est une histoire qui ne veut rien dire. Une histoire c’est un ensemble, des composants assemblés pur raconter quelque chose. En piocher un, c’est inventer une autre histoire. C’est toujours possible, mais alors il ne faut pas l’attribuer à l’auteur originel du récit complet. Or, c’est ce qui est fait, pour servir les intérêts de celui qui récupère l’extrait de storytelling.

Le retour du jargon :

On le croyait disparu, rangé au rayon des reliques. Tout le monde avait saisi que, pour bien se comprendre, il fallait trouver une communauté de langage, un socle minimal. Et patatras. Avec la Covid, retour au galop des vieilles pratiques. C’est, c’est, c’est… le jargon. Il permet de noyer tout dialogue derrière ce bien pratique cache sexe qu’il constitue.

Ce n’est encore une fois pas une bonne nouvelle. Le storytelling vertueux, avec sa vocation de contribuer à un échange qui fait avancer les choses, se voit là aussi freiné dans ses possibilités.

C’est par exemple tel médecin qui joue avec les mots en indiquant qu’on n’en est pas à la 5e vague de l’épidémie Covid mais à la 5e épidémie. Comme si cela changeait quelque chose sur le terrain pour nous… Car évidemment, ce n’est pas dans une revue scientifique qu’il fait sa petite déclaration mais dans les médias grand public. Un exemple parmi d’autres.

Marketing d’influence et storytelling :

Le marketing d’influence est une tendance lourde et qui ne faiblira sans doute pas en 2022. Et il est déjà établi que les influenceurs excellent dans le storytelling : ils savent mieux que quiconque raconter des histoires qui enthousiasment leur communauté.

Bref, sur ce plan rien de nouveau, et la nouveauté storytelling n’est effectivement pas là. Elle est dans l’histoire commune qui est développée entre l’annonceur et l’influenceur. Les annonceurs qui se contenteront de produire et contenu et de persuader un influenceur de le publier seront complètement hors jeu. Pareillement, un influenceur qui accepterait de publier un contenu produit par une marque sans se poser plus de questions que la somme versée en échange serait un influenceur des bacs à sable. Et même, du bac à sable, il serait proche d’en être expulsé.

Donc, seuls les contenus issus d’une relation basée sur une histoire commune entre la marque et l’influenceur ont dorénavant un avenir.

Et les métavers, alors ?

Les métavers ont le potentiel pour devenir des terrains de storytelling privilégiés. La réalité augmentée et la réalité virtuelle sont depuis longtemps des technologies qui se marient très bien avec le storytelling. Il n’y a rien d’automatique, mais pour peu qu’on se donne la peine de concevoir une histoire, cette dernière pourra mettre en oeuvre du storytelling.

Mais le storytelling va plus loin encore dans les métavers. Dans métavers, il a le mot univers. Cela signifie qu’un travail de storytelling est à réaliser pour construire l’univers narratif du métavers, dans lequel évolueront les utilisateurs. Il va donc y avoir une forte demande pour de la création de tels univers, dans lesquels les utilisateurs vivront une histoire via leurs avatars.

C’est un travail en profondeur, analogue à la création d’un univers narratif dans un film ou dans une grosse campagne de publicité.

Des logos qui opèrent un retour aux sources :

Est-ce une tentative de surfer sur la vague “retour aux sources” post Covid, le monde d’après et tout le toutim ? En tout cas, des marques ont déjà opéré un retour en arrière pour leur image, leur logo. C’est le cas de Burger King, qui abandonne son logo actuel pour revenir à son identité visuelle des années… 1970 !

D’autres marques semblent emboîter le pas. Peugeot, par exemple, affiche depuis 2021 un logo qui ressemble beaucoup à celui qui était le sien dans les années 1960. Bref, Peugeot pouvait passer pour un acte isolé, mais avec Burger King en plus, c’est une tendance qui se dessine.

En soi, un logo est-il du storytelling ? Et bien, il est sensé raconter une histoire, ou au moins participer à la narration de l’histoire de la marque, qu’elle soit historique ou qu’il s’agisse de l’histoire à vivre par ses clients. Donc il vaudrait mieux, sous peine de perdre son temps à ne faire que de la décoration.

Et pour habiller ce storytelling ?

Certaines tendances graphiques se dessinent également. L’illustration semble avoir le vent en poupe en ce début d’année 2022. Faire appel à la patte créative d’un illustrateur apporte ce supplément artistique authentique qui manque souvent à une bonne histoire. Bon, l’illustration n’avait jamais disparue de la circulation. Mais on voyait beaucoup plus la part belle faite aux photos, pour participer à la narration d’une histoire.

Côté couleurs, le fluo revient en force, ce qui semble aller de pair avec des histoires digitales, voire dans les métavers, où les couleurs vives peuvent enrichir l’expérience narrative.

Oui, car au delà de l’aspect décoratif, ces éléments graphiques peuvent être des éléments déterminants de l’histoire. Ils peuvent participer à la dynamique émotionnelle et à l’intrigue, et faire la différence avec une histoire lambda sur ce plan.

L’épisode de l’année précédente :

Tendances storytelling 2021

Bonne année de storytelling 2022

meilleurs voeux de storytelling 2022

C’était au début du mois de décembre dans le quartier du Marais à Paris. En écarquillant bien les yeux, on aperçoit dans le fond l’inscription BHV Le Marais sur la façade de l’immeuble. J’étais à une intersection, aucune idée du nom des rues adjacentes. Juste à côté, il y a ce très drôle restaurant à burgers, dont les tables rondes en terrasse sont recouvertes d’une vitre sous laquelle a été placée des petites culottes de femmes, entre autres objets d’un cabinet de curiosités bien spécial. A la carte, le burger DSK, présenté comme étant le best seller des lieux, est à l’avenant. Quelques mètres de plus et il y a ce magasin d’objets de déco et de cadeaux d’apparence assez banale mais dans lequel on peut trouver des trésors, comme toujours dans ce genre d’endroit. Pour ma part, j’y ai dégoté un mug “Bonjour les bitches !” pour ma filleule. C’est mon humour à moi de lui offrir ce type de cadeau pour Noël. J’ai aussi compris, en suivant ses échanges avec ses copines sur Insta (suivre pas espionner !), que le mot “bitch” n’avait plus tout à fait la même signification insultante qu’autrefois. On dirait même que c’est presque devenu un compliment. J’avais d’ailleurs été bien amusé par une photo de groupe publiée sur son compte, avec simplement en légende : “bitches on the beach”. Encore un peu plus loin dans le quartier : le temple de la gastronomie italienne Eataly, et sa bonne vingtaine de variétés différentes de Panettone. On m’a offert une séance de “vis ma vie de pizzaïolo” pour mon Noël à moi, à faire là-bas pendant deux heures. A moi de transformer ce kickoff en pratique plus pro que ce que je faisais jusque là lorsque je confectionnais des pizzas.

C’était aussi l’une des dernières sorties photographiques de mon vieux téléphone Samsung S7. Pour situer, pour tous ceux qui ne seraient pas très familiers de la gamme Samsung, on en est aujourd’hui au S21. Pas de quoi le qualifier de vénérable façon moine bouddhiste, mais quand même… J’avoue que je l’ai gardé aussi longtemps à cause des photos, pas trop mal, qu’il était capable de faire. Sauf la nuit, impossible d’en tirer quoi que ce soit d’utilisable. Une cata. Mais bon, la plus belle fille ne peut… blablabla et tout le toutim.

Pour cette photo, j’avais tiré parti de l’un des rares rayons de soleil d’un week-end à la météo épouvantable, qui m’avait en plus fait découvrir que mon blouson préféré made in Russie n’était absolument pas étanche. Zéro. A côté, Tchernobyl passerait pour un modèle de protection anti-radiations. Déception. Intense. Et moqueries interdites, ricaneurs s’abstenir.

L’aspect visuel de cette photo est exactement celui que je recherchais. Je m’étais mis face au soleil. Oui, je sais, c’est complètement idiot de faire cela si on veut prendre une bonne photo. Mais je ne voulais pas prendre une bonne photo : je voulais prendre une photo qui ait un effet particulier. Un arrière-plan proche des personnages complètement brûlé, pour un traitement de toute manière en noir et blanc qui ne ferait apparaître que des silhouettes sombres. C’est pour cela aussi, que je ne me suis pas embêté à demander leur autorisation aux trois personnes sur la photo, étant donné que même elles-mêmes ne se reconnaîtraient pas sur l’image. Et leur ombre sur l’asphalte. Le halo flouté autour de leurs contours (pas besoin non plus de s’en préoccuper puisqu’il participerait également de l’ambiance)…

Voilà un petit bout de storytelling personnel pour terminer une année et en commencer une autre. Cet article est moins orienté pratique professionnelle du storytelling, plus axé sur une forme littéraire de la narration. Et bien, cela fait plaisir de retrouver ce type d’écriture par lequel je suis passé il y a de cela des années et que j’ai un peu délaissé. Je pense y revenir. J’y pense beaucoup.

Le storytelling des minorités

Les minorités avaient autrefois besoin de raconter leurs histoires pour être vues et reconnues. Avaient… Aujourd’hui, le storytelling des minorités est tout autre…

Le problème historique des histoires dominantes :

Les histoires dominantes sont une réalité que la recherche sur le storytelling a exploré depuis pas mal d’années. C’est surtout le cas dans l’utilisation du storytelling dans les organisations. L’histoire dominante y est souvent celle qui est racontée par la Direction de l’organisation. En général, elle écrase les autres, les empêche de s’exprimer. Pourquoi ? Parce que les autres histoires sont dissonantes, ce sont des alternatives à l’histoire officielle, choisie par la Direction pour incarner le destin futur de l’organisation.

Le problème traditionnel pour ces histoires minoritaires est donc de pouvoir exister. Et le problème, pour les organisations, est que le maintien du leadership de l’histoire dominante a pour effet de les scléroser; les figer dans des mythes qui ne sont pas des sources de progrès.

Le storytelling des minorités aujourd’hui :

En est-il toujours de même aujourd’hui ? Le statut des histoires minoritaires est-il toujours identique ?

Pour moi, c’est clair : la réponse est non.

Un storytelling des minorités aux accents majoritaires :

Je vais prendre deux exemples qui ont beaucoup de similitudes entre eux : le storytelling des gilets jaunes et le storytelling du wokisme. Les gilets jaunes ont toujours été numériquement une minorité. Et des sondages qui ont montré un soutien plus ou moins marqué au mouvement, on ne peut rien déduire, comme de la quasi totalité des sondages, de nos jours. Ils ne sont le plus souvent là que pour servir un biais de confirmation. Et pour ce qui est des personnes racisées, leur lutte contre la suprématie blanche parle d’elle même.

On l’a vu, le problème traditionnel des histoires minoritaires est que personne ne les entend. Les gilets jaunes tout comme les personnes s’estimant racisées parviennent à faire entendre leur histoire. C’est incontestable. Et cela se fait souvent avec l’aide des réseaux sociaux.

On entend parfois ces mouvements se plaindre de leur manque de visibilité, mais quand on voit le nombre de leurs followers sur les réseaux sociaux, il y a de quoi questionner la réalité de cette invisibilité revendiquée. Il y aurait même matière à questionner un éventuel changement de statut : peut-on alors encore parler de minorité, avec un tel engouement, du moins sur les réseaux sociaux ?

C’est Rachel Khan, autrice de “Racée”, qui s’est posée cette dernière question et je trouve son point de vue intéressant.

Les problèmes de ce storytelling :

  • Une exclusivité délétère

Dans le storytelling des minorités d’aujourd’hui, c’est booléen, c’est binaire. On est avec, dedans, ou contre, en dehors du groupe. Il n’y a pas à discuter, c’est comme ça ou ce n’est pas. A quoi bon discuter ? Il faut choisir son camp, là maintenant, et cette décision est irrévocable. La transiger, c’est passer dans le camp de l’ennemi, et c’est irrévocable également. Pas de demi-mesure.

C’est un storytelling de l’affrontement, là où le storytelling est normalement un dialogue. Bien sûr, il y a toujours un adversaire dans une histoire. Mais il ne peut pas y avoir que ça. Ce n’est pas suffisant pour que le storytelling puisse avoir un effet d’entraînement, de levier.

Ainsi, pour les gilets jaunes, seuls des gilets jaunes ou des médias qui en étaient issus pouvaient valablement parler des gilets jaunes. Les médias traditionnels étaient disqualifiés d’office.

  • Une bataille d’affirmations et d’opinions

C’est le corollaire de la remarque précédente. Du coup, c’est un storytelling stérile qui en ressort. Dans une bataille d’affirmations et d’opinions, il n’y a que des échanges de coups, et aucune vraie discussion. D’échange, justement, au delà des tirs, il n’y en a pas. On se lance mutuellement des bombes qui n’aboutissent jamais au but. Elles s’écrasent sur les boucliers. Rien ne peut en sortir. On ne parle même de bien ou de mal, c’est juste rien… Le vide. Chacun perd son temps, car personne n’avance. Si tant est que l’objectif de chacun est bien d’avancer.

Chacun assène ses vérités et ne parle qu’à ses pairs.

  • Une fermeture à l’autre et au débat (voire même la négation d’autrui et du débat)

Le storytelling des minorités tel qu’il est pratiqué aujourd’hui nie le droit à celui ou celle (ou iel) qui ne fait pas partie de la minorité de s’exprimer dans le cadre d’un dialogue. Le dialogue, lui, ne peut avoir lieu qu’au sein du groupe, de la minorité. C’est tout le sens des réunions dont certaines catégories de personnes sont exclues, interdites de participation. Les gilets jaunes également, n’acceptaient pas que des personnes extérieures au mouvement, politiques ou autres, s’intègrent à leurs groupes, ou alors avec une très grande parcimonie.

  • Le choix de la violence

Une histoire qui ne se traduit que par, ou essentiellement par, des actes de violence, qu’ils soient physiques ou verbaux, n’est pas porteuse d’avenir. C’est une histoire qui ne mène nulle part. Elle n’a aucune dynamique, aucun ressort. Elle fonce tête baissée, droit… dans le mur. Une histoire, ce n’est pas une attaque perpétuelle. C’est un rythme, celui des émotions, positives, négatives, d’intensités variables. Elle ne monte pas en permanence dans les tours. Sinon, elle serait en surrégime. Et un moteur en surrégime est voué à tomber en panne ou à exploser. Bref, c’est la destruction assurée.

  • Une posture victimaire

Aucune histoire n’est viable si le personnage central est unidimensionnel. Ce n’est pas seulement qu’il a un profil spécifique. C’est que toutes ses actions ne sont le reflet que d’une seule valeur, un seul driver est à l’oeuvre. Chez les gilets jaunes, nous avons une telle posture : victimaire sans concession. Il n’y a pas de place pour des torts partagés. La situation vécue ne connaît qu’un seul coupable : c’est l’autre camp, c’est à dire tous ceux qui ne font pas partie du groupe. Pour les tenants du wokisme, il y a aussi un seul coupable désigné : le racisme systémique. Et aucune dynamique n’est possible pour l’histoire qui se déroule. C’est un status quo auto-entretenu.

Voilà, c’est ce que j’avais dans la tête et le coeur. Et j’avoue que ces réflexions me sont venues après la lecture de deux livres. L’an analysait le mouvement des gilets jaunes, non pas pour le critiquer ni pour l’encenser, mais pour coprendre ses mécanismes. L’autre était donc le livre “Racée” de Rachel Khan.

Je ne critique ni les gilets jaunes, ni le wokisme. Je ne les encense pas non plus, ce qui peut suffire à faire de moi leur ennemi, selon leur storytelling, que j’ai analysé dans cet article. Je n’en tire aucun ressentiment, je sais que c’est juste une question de storytelling, et que, surtout, ce mot n’a rien de péjoratif. J’ai passé toute ma carrière dans le storytelling à prouver le contraire.

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